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Remboursement de l’aide psychologique : peut-être, mais à quel prix ?

 

Ce samedi 20 mai, Maggie De Block a annoncé que le futur Conseil Fédéral des Professions des soins de santé mentale allait se pencher sur la question du remboursement de l’aide psychologique. Cette alléchante promesse, présentée comme une amélioration pour le secteur de la santé mentale, et surtout pour les bénéficiaires, cache des enjeux qui vont bien au delà de la "bonne nouvelle". Remboursement, peut-être, mais à quelle conditions ? Comment, quand, pour qui et surtout : à quel prix pour l’humain ?

Ce samedi 20 mai, la ministre de la santé Maggie De Block a annoncé, dans une interview au quotidien De Morgen, son intention de mettre en place un remboursement de l’aide psychologique par l’assurance maladie.

Suite à l’adoption de la loi consacrée à l’exercice de la psychologie clinique, qui intègre cet exercice dans le champ de la santé, la ministre cherche, à travers ce remboursement, à garantir un accès plus rapide à l’aide psychologique pour les personnes qui en ont le plus besoin.

Pour ce faire, elle entend solliciter l’avis du Conseil fédéral de la santé mentale, dont l’installation est prévue ce vendredi 26 mai, et engager les acteurs concernés dans un plan par étapes. Il s’agit, selon Maggie De Block, de déterminer pour qui et quand un remboursement est le plus urgent.
Celle nouvelle, à laquelle nous pouvions nous attendre, peut être accueillie positivement en ce qu’elle témoigne d’une prise en compte des aspects psychiques de la santé des belges. Elle interroge toutefois, fondamentalement, le cadre de pratiques des psychothérapeutes que nous sommes. Que devons-nous penser de cet accès au remboursement ? Et surtout, quel pourrait en être l’impact pour les personnes qui effectuent une psychothérapie ?

Le remboursement, une question de finalités

Malheureusement, la ministre nous a souvent donné le ton de sa politique et de sa vision de la santé : il s’agit manifestement pour elle de rencontrer d’abord et avant tout un impératif de santé économique du pays – la règle d’or européenne de réduction des déficits budgétaires des états membres l’impose – et de « préserver notre système de protection sociale », comme elle se plaît à le dire souvent. Que l’on pense à la diminution du nombre de séances de kiné pour les personnes souffrant de douleurs chroniques ou de fibromyalgie, aux sanctions pour les malades de longue durée qui ne collaborent pas à leur reprise du travail : les mesures sont dures, froides, implacables.

Aujourd’hui, elle souhaite offrir le remboursement pour l’aide psychologique et devra, forcément, en définir les contours. Il s’agira d’identifier, catégories nosographiques à l’appui, les profils pathologiques les plus urgents à traiter – entendons : les plus coûteux pour la société – et définir un programme de remise en état de marche. « On va vous aider, mais après… Au boulot ! » La solidarité s’arrête là où commence l’auto-responsabilisation des personnes. Et pour Maggie De Block, le territoire de la solidarité est assez restreint.

Le remboursement et les pratiques de soin psychique

Au plan des pratiques du soin, il n’est pas certain que le remboursement soit une bonne chose pour la santé mentale telle que nous la concevons. Concrètement, le système de remboursement des consultations psychologiques à mettre en place a déjà donné lieu à quelques écrits qui en donnent une perspective. La plus évidente est celle du KCE – Centre fédéral d’expertise des soins de santé.

Pour rappel, le KCE a pour objectif de « (…) soutenir de manière qualitative la réalisation des meilleurs soins de santé et (…) permettre une allocation et une utilisation aussi efficaces et transparentes que possible des moyens disponibles de l’assurance des soins de santé par les organes compétents (…) » (article 262 de la Loi-programme du 24 décembre 2002).

Dans sa proposition, donc, le KCE envisage l’organisation des soins de santé mentale sur la base d’un projet-pilote flamand. Selon ce modèle, les soins de santé mentale reposent sur des professionnels de 1ère ligne – des psychologues cliniciens généralistes – chargés en quelques séances d’établir un diagnostic ou de déjà permettre à la personne d’aller mieux, et sur des professionnels de 2ème ligne – des spécialistes – chargés d’assurer un soin spécifique en fonction de la catégorie de trouble concerné.

Voici un exemple, certes caricatural, mais qui transmet bien à quel genre de situations les intervenants de première ligne pourraient être confrontés…
« Ça ne va plus du tout dans mon couple. Nous nous disputons tout le temps. Je suis parfois prise d’accès de violence envers mon mari et mes enfants et il m’arrive de boire la journée, pour oublier tout ça. Je me sens vide, épuisée, je ne dors presque plus. Mon médecin m’a mise en arrêt de travail pour un mois, parce que je me sens harcelée en permanence par mes collègues et mon employeur, et là, j’ai peur de reprendre la semaine prochaine ».
Dépression ? Assuétudes ? Problème relationnel passager ? Burn-out ?

Pour bénéficier d’un remboursement, il faudra donc d’abord dévoiler sa vie – désormais appelée « dossier » - à un professionnel de 1ère ligne et puis rentrer sa tête dans une petite case pour se rendre chez un autre professionnel de cette case – le professionnel de 2ème ligne – et approfondir le dossier. Est-ce cela que nous voulons ?

Ensuite, comme nous l’avons vu, la proposition du KCE prévoit que le remboursement soit limité dans le temps, en fonction du type de trouble et des connaissances scientifiques sur l’efficacité des psychothérapies. C’est compréhensible d’un point de vue strictement comptable, sans aucun doute. Mais dans la relation de soins psychothérapeutique, c’est un mauvais signal. Celui-ci consisterait, une fois de plus, à nommer de l’extérieur les maladies en considérant qu’avec tel ou tel traitement adéquat-parce-que-scientifiquement-prouvé, 6 ou 8 séances sont suffisantes. On voit apparaître des maladies ou anormalités normales et des anormalités anormales !!

Le remboursement et les contraintes du financement : un choix idéologique

Le trait d’union entre le remboursement des soins de santé mentale, les pratiques et leur financement porte désormais un nom bien connu : « l’evidence-based medecine ». C’est en effet le recours exclusif aux bonnes pratiques fondées scientifiquement, par les techniques de laboratoire qui rivalisent avec les essais cliniques randomisés des laboratoires pharmaceutiques, qui s’avère susceptible de rentrer dans l’exigence de contrôle et de prédictibilité qu’impose la maîtrise des dépenses publiques.

Ce faisant, la ministre a assimilé, dans le même élan législatif, la psychothérapie à un acte réservé, répondant aux normes des impératifs de gestion.

Or, la psychothérapie ne se limite pas à ces seules pratiques et, plus fondamentalement, ne peux être étayée sur les seuls savoirs issus de la recherche expérimentale en labo, calquée sur les sciences de la nature.

Dans un article de 2004, Fourcade distingue, en effet, 4 fondements épistémologiques à la psychothérapie. Si celui des sciences de la nature et des savoirs construits par vérification expérimentale n’est pas contesté, il pointe néanmoins l’incidence de ce modèle au plan relationnel. Pour le savant qui lit le monde sur ce mode, les connaissances restent toujours quelque chose qui met à distance du monde. Il s’agit de mobiliser une connaissance préalable et préétablie sur la chose. Nous sommes en effet dans un rapport de contrôle et de prédictibilité.

Or, pour nombre de praticiens, la psychothérapie est un métier où la connaissance de la nature humaine se construit dans la relation. L’expérience professionnelle de cette relation est la voie par laquelle s’élaborent les sciences de la nature humaine. Cette épistémologie conçoit également qu’il n’y a pas de réalité en soi du phénomène humain mais que celui-ci se manifeste dans une interaction, une relation avec quelqu’un qui lui-même influence le phénomène. Cette posture épistémologique a d’ailleurs été désormais intégrée aux sciences dites « dures » par le principe de la relativité d’Einstein, qui vaut qu’un phénomène n’est observable que par le biais du système qui l’observe. Mesurons l’humeur de quelqu’un à l’activité électrique de son cerveau et nous obtenons une vue neuroscientifique de l’esprit. Evaluons-la à travers les mots qu’elle utilise pour identifier de quoi la personne parle, et nous développons une vue plus inspirée par la psychanalyse.

Une approche de santé à revoir

Si aucune épistémologie n’est meilleure qu’une autre, considérer que celle des sciences « dures » supplante les autres relève, ni plus ni moins, d’un « choix idéologique », comme le signalait déjà Marcel Bolle De Bal, professeur émérite de l’ULB, dans La Libre Belgique en 2004. Ce choix, c’est celui du refus de considérer le « besoin de tendresse malmené par un monde que trop d’abstraction scientiste peut contribuer à rendre inhumain ». Appelant à la reconnaissance des « sciences tendres », Bolle De Bal invitait à « assurer la coexistence féconde du quantitatif et du qualitatif, de la culture de la performance et de la culture de l’existence ». C’est exactement au contraire que conduit la réglementation de Maggie De Block : elle a fait le choix d’une épistémologie en phase avec la tendance néolibérale et managériale de notre époque : il faut gérer les soins de santé.

C’était déjà avec cet objectif que se sont construits, dès 1953, nos institutions et notre système de santé. Des soins de qualité et une intervention de l’Etat pour assurer l’accès à tout citoyen qui en a besoin : telle était la finalité de la loi spéciale de relance économique qui a donné lieu, quelques années plus tard, à l’Arrêté royal 78.

Néanmoins, ces institutions apparaissent aujourd’hui comme de piètres machines-relais entre les carcans toujours plus étriqués des finances publiques et des pratiques de soins standardisées et toujours plus réglementées. Dès lors, est-ce le moment, vraiment, de demander à l’Etat d’intervenir dans les consultations psychologiques ? Ne serait-il pas temps, au contraire, de réformer en profondeur notre politique de santé, et pas uniquement l’AR78 qui règlemente l’exercice des professions de soins de santé ? Ne devrions-nous pas élargir la politique de santé à une santé non-médicale, au-delà du cadre bureaucratique des nomenclatures de l’INAMI ?

Récemment, dans un article du Journal du Médecin, le Président des Mutualités chrétiennes, Luc Van Gorp, lançait un pavé dans la mare : « Supprimons les structures d’assurance-maladie ». Derrière cette injonction-choc, l’homme énonce une vision forte : « la santé n’est (…) pas seulement une question de bien-être physique et psychologique mais aussi de sens, de qualité de vie, de participation à la société ». Derrière cette vision, un paradoxe de nos politiques de santé : alors que les technologies et les connaissances scientifiques n’ont cessé de se développer, alors que les évolutions médicales de ces dernières années est spectaculaire, l’être humain « semble plus désespéré, moins sûr de lui, plus en recherche que jamais auparavant. (…) C’est malheureusement un mal qui n’a pas de remède ».

Cette opinion éclairée, s’il en fallait une de plus, dit à nouveau combien le seul recours à une épistémologie qui produit du « savoir sur les gens et leur problèmes psychiques » sera toujours en échec là où il s’agit, en effet, d’accompagner des personnes dans une recherche de sens, dans une « culture de l’existence ». C’est ce qu’Alter-Psy, avec d’autres, ne cesse de clamer depuis ses origines…

Références :
- Jean-Michel Fourcade, « Science et psychothérapies », Gestalt 2004/1 (no 26), p. 27-34.
- Sciences « dures » et sciences « tendres » MARCEL BOLLE DE BAL, Professeur émérite de l’ULB, 2004. © La Libre Belgique 2004
- http://www.lejournaldumedecin.com/actualite/supprimons-les-structures-d-assurance-maladie/article-opinion-28297.html

Publié le 25/05/2017